Buenos Aires

Le trajet en bateau de Seatcat depuis Colonia en ce dimanche 22 novembre prend une heure et demi et nous nous y sentons comme dans un avion. Si je vous ai déjà commenté le départ dans le récit précédent, l’arrivée est encore plus semblable d’un débarquement à l’aéroport : de longs couloirs conduisent au retrait des bagages et nous sommes soulagés que les nôtres ne soient pas restés en Uruguay et soient même déjà sur le tapis lorsque nous arrivons. Nous sortons de cette grande gare maritime sans problème, les formalités de frontières ont été effectuées en Uruguay et de ce côté ci nos bagages seront juste passés sous les rayons X.

Une fois dehors nous sommes tout de suite confrontés à la grande, la phénoménale Buenos Aires. Le port de ferry de Buquebus est situé dans le plus moderne et inconventionnel des 48 quartiers de la ville : Puerto Madero. A l’origine, les docks et bâtiments des quais maintenant reconvertis en lofts chics et restaurants branchés sur fond de grattes-ciel des plus modernes : nous nous sentons plus à Hambourg qu’en Amérique du sud.

Nous le comprenons vite, c’est l’un des mille visages que possède la métropole légendaire. Buenos Aires est cosmopolite, séduisante, aguicheuse voir provocante, effrayante sur certains aspects, élégante et maquillée, manipulatrice, pleine de cicatrices et de surprises et prête à aller de l’avant, comme une femme des temps modernes ou comme une danseuse de tango.

J’ai énormément attendu cette étape et je suis heureuse et excitée d’y être enfin. Je dois vite être confrontée aux idées que je m’étais faites je ne sais pourquoi d’une sorte de Valparaiso en plus grand et plus moderne. Je comprends aussi pourquoi les porteños (habitants de Buenos Aires) sont si fiers de leur ville, moi aussi je m’y verrais bien vivre. Mais comme dans le reste du pays les argentins n’ont pas fini d’en baver et je ne sais pas combien de temps cela prendra avant que la révolte explose. Peut être qu’ils ne craqueront pas, qu’ils continuerons à encaisser ces uppercuts et leurs révoltes silencieuses.
Trêve de bavardages hasardeux.

Nous nous attendions à une architecture de type colonial espagnol et c’est au contraire la Belle-Epoque et Paris qui a sans doute le plus influencé les bâtisseurs de la ville.
Il faut savoir qu’à l’instar de sa situation sur le Rio de la Plata (rivière de l’argent) Buenos Aires n’en a jamais eu. Ce n’était pas une ville qui exportait des richesses, elle n’en avait pas. Pas de métal précieux, pas de charbon. La ville a prospéré grâce à la contrebande et l’export de produits agricoles (grains et animaux). La seule richesse qu’avait la ville lors de la deuxième tentative d’installation des espagnols, 50 ans après la première tentative avortée qui les avait finalement envoyé fonder la ville d’Asunción en haut du de la rivière, ce sont des troupeaux de bovins qui abandonnés sur place avaient prospéré et envahi la région : de là naît la célèbre viande argentine. La petite ville (oui, petite, elle n’a pas beaucoup prospéré entre temps) était entourée de pâturages. C’est pour cela aussi qu’elle n’a pas d’arbres centenaires et que tout a du y être importé.
L’export de produits issus de l’agriculture était donc sa seule richesse, seule certes mais pas moindre, elle a permis à de grands propriétaires terriens de s’enrichir honteusement et ce sont ces grandes familles qui ont voulu faire de Buenos Aires une reine, ont voulu la faire briller. Ils passaient l’été sur place et partaient en Europe pour l’été européen, mangeaient sur les bateaux dans de la vaisselle en or qui n’était utilisée qu’une fois et jetée par dessus bord.

Ils se sont donc inspiré de tout ce qui faisait classe et cultivé, Paris, Rome, la Grèce puis lorsque les USA ont commencé à briller, ils ont aussi marqué l’architecture de la ville. Un magnifique mélange il faut dire, et il en reste assez pour en témoigner. Tout aurait magnifiquement continué si le terrible krach boursier de 1929 n’avait pas changé la donne. Ruinées, les grandes familles ont tout perdu. L’état a racheté une partie des bâtiments, puis le pays a connu coups d’états et putsch militaires, crises et dictatures, c’était la fin de l’âge d’or de l’Argentine. C’est seulement depuis 1983 que le pays ne vit plus sous une dictature mais les plaies n’ont pas encore été pansées même si le pays se relève dignement.

Si les argentins n’ont plus confiance dans leur système (et que même le changement de président de la semaine dernière ne semble donner aucun espoir d’amélioration), ils savent vivre et profiter. On ne donne pas son argent à la banque qui leur a déjà tout pris, on le dépense ou on le change en dollars, une monnaie plus stable que leur peso qu’on cache sous son matelas.
Cette folie du dollars ou autre monnaie forte nous avons su en faire les frais en tant que touriste. La situation financière du pays est effrayante. Avec un taux d’inflation de 25 % les prix de notre guide datant de décembre 2014 ont doublé. C’est pourquoi les argentins vivent au jour le jour et dépensent leur argent avant qu’il ne vaille plus rien.
C’est pour cela aussi que les dirigeants rendent difficile l’accès au dollar, une valeur sure. Les argentins ne peuvent pas y accéder sans passer par un taux affreusement défavorable.
En conséquence un énorme marché noir s’est développé pour l’achat du dollar US qui rend notre vie plus facile si on arrive équipé. Sachant que le cours actuellement (fin novembre 2015) est pour 1 dollars 9 à 10 pesos, on reçoit dans la rue selon le taux « blue » (celui de la rue) à peu près 15 pesos pour 1 dollars. Certes c’est illégal, mais tout le monde y a recours. Dans la rue (spécialement la calle Florida) on ne fait pas 3 mètres sans être interpellé du matin au soir et la chanson « cambio cambio money change change » semble être l’hymne national. C’est un vrai spectacle.
Ce qui rend un peu désagréable cette transaction illégale c’est le fait que le plus gros billet argentin, 100 pesos, représente 10 euros et vous imaginez que lorsqu’on change de plus grosses sommes il faut au plus vite compter plus de cent billets dans la rue, contrôler aussi aléatoirement si on ne nous en refile pas de faux (quelques petits indices permettent rapidement de les dénicher) et s’en aller de ce pas pour ne pas traîner trop longtemps avec tant de billets dans les poches. Les faux billets ne sont quand même pas monnaie courante, pas plus que le vol à l’arrachée. Nous on s’est senti en sécurité même si on a quand même pas traîné. Ah, et aussi, n’hésitez pas à discuter le prix. Les arbolitos (les petits arbres, bras en l’air avec des billets verts dans les mains) sont tellement à l’affût et il y a tellement de concurrence qu’ils ne vous laisseront pas repartir sans accéder à votre demande (si elle n’est pas ridicule bien sur).

C’est cependant un quotidien auquel on s’habitue, et c’est donc essentiel avant d’arriver en Argentine de se procurer des dollars ou des euros et estimer son besoin pour tout le séjour car le taux est meilleur à la capitale. Pas changer en Europe au taux qui sera donc le taux officiel… ou alors juste le minimum pour arriver. Dans le sud, moins facile de changer au « blue ». Si vous n’y avez pas pensé, une journée à Colonia en face en Uruguay pour une excursion et au distributeur vous pouvez retirer des dollars, 300 à la fois mais sans limite du nombre de fois…

Cette situation est difficile à imaginer en tant qu’étranger. Même si nous parlons avec les locaux nous avons du mal à comprendre ce paradoxe de vie atrocement chère (restaurant comme supermarché plus cher qu’en Europe, salaire moyen bien inférieur) et le luxe et la bonne vie que semble avoir les porteños dans cette ville qui semble elle aussi si riche.

Lorsque nous arrivons à Buenos Aires à 18 heures ce 22 novembre, les bureaux de vote ont tout juste fermé et la ville se prépare à savoir lequel des deux candidats, Daniel Scioli ou Mauricio Macri sera leur nouveau président. C’est forcément la fin de Cristina Kirchner puisqu’elle a déjà effectué deux mandats et ne peut plus être réélue.
Nous avançons prudemment et évitons de nous mêler à la foule très dense et très excitée qui a envahie de centre. A la casa rosada, le siège du gouvernement, tout est barricadé et une importante force policière est présente. Nous apprendrons plus tard que le bâtiment est ainsi barricadé depuis le krach financier de 2001, lorsque le président a du s’enfuir en hélicoptère par le toit de ce bâtiment. Du 10 décembre 1999 au 25 mai 2003 l’Argentine connaîtra 7 chefs d’état, l’équilibre arrivant en la personne de Néstor Kirchner, veuf de Cristina Kirchner qui le succédera juste après son premier mandat. Donc 3 mandats Kirchner et nombre de scandales pour arriver à cette date historique du 22 novembre.

Lorsque les résultats sont diffusés et que Mauricio Macri, la figure d’opposition de droite conservatrice fait son premier discours, la ville est reste étrangement calme. La nana du bar de notre hostel nous dira blasée que de toutes façons ils sont tous pourris, que rien ne changera et qu’elle veut aller vivre en Suisse au milieu des moutons. En Suisse, bien sur.

Les quatre jours que nous passons à Buenos Aires sont riches et variés. Pour changer nous décidons de participer aux deux « Free Walks » qui ont lieu. Nous y apprenons non seulement l’histoire chargée mais aussi les nombreuses controverses de la ville, du pays. Dans le quartier de Recoleta et de Retiro ce sont les magnifiques demeures de riches et l’histoire d’Eva Perón (Evita) entre autres que nous découvrons. Rien que le cimetière de Recoleta est un endroit à ne pas rater. La ville est très fleurie et les grands arbres témoignent du calcul savant des architectes et spécialement de Carlos Thays qui fit planter 150000 arbres souvent déjà grands dans les rues de la ville début 1900 : A chaque moment de l’année il y a des arbres en fleur. En ce moment la ville est violette, les beaux jacarandas sont en fleur.

Devant le majestueux bâtiment de l’ambassade française notre cœur se serre en voyant les si nombreux messages de soutiens et fleurs qu’ont déposé les locaux pour nous témoigner leur affection après les terribles attentats de Paris.
Souvent on me demande comment vit la France après cette attaque. Je n’y suis pas. Je ne fais que glaner les informations sur Le Monde et lire ceux de mon mur de Facebook. L’image que je m’en fais est sûrement erronée, mais il semble que la France réagit comme elle sait le faire : elle ironise et se défend par la provocation, à grand coup de bleu blanc rouge et très unie. Cette solidarité soudaine est un vrai cadeau et il est tout de même dommage qu’elle n’apparaisse que dans l’état d’urgence. C’est aussi absurde qu’elle tombe dans le piège de l’extrémisme, manipulée par des médias rodés qui savent parfaitement comment alimenter toutes les thèses farfelues.
Pourquoi est ce qu’on n’est jamais capables, nous les hommes, de comprendre que la violence n’est jamais la solution ? Bon, je m’égare.

Le deuxième „free walk“ nous amène dans le quartier „Congreso“ et „Microcentro“ à travers la „plus grande avenue du monde“ (l’avenida 9 de Julio a 16 voies) et s’articule autour de la politique et de la crise du peuple. Les différents thèmes comme le courant politique péroniste, amorcé par Juan Domingo Perón et sa célèbre femme Eva (connue comme Evita), les marches silencieuses du mouvement des mères de la place de Mai pour les „desaparecidos“ de la guerre sale entre 1976 et 1983 et toute l’histoire des 500 bébés volés et leur descendance, les actions des vétérans de la très controversée guerre des Malouines, comme les revendications de peuples dont les terres ont été illégalement volées et aussi revendications pour le droit à un logement décent, autant de thèmes qui nous ont permis de mieux comprendre le peuple argentin.

Nous allons aussi visiter le charmant petit quartier de San Telmo avec ses rues pavées et son marché et le très coloré et touristique quartier de la Boca où à l’époque les pêcheurs coloraient leurs mansardes avec les restes de peinture de bateaux et maintenant les beaux danseurs de Tango vendent leur charme pour de très coûteuses et touristiques photos déguisées (non, nous ne nous sommes pas prêtés au jeu).

Nous sommes ensuite rapidement avec le métro à Palermo, ancien quartier des italiens et aujourd’hui un chic quartier résidentiel qui offre toute l’infrastructure du divertissement de nuit aussi bien que les boutiques sûrement les plus branchées et bourgeoises de la ville.
Nous nous baladons encore dans le quartier moderne du port et sommes impressionnés par les mille facettes de Buenos Aires, toujours aussi reconnaissants pour ses habitants qui se précipitent pour nous aider dès qu’ils nous voient avec un plan de la ville entre les mains.

Dans le quartier de la gare il nous faut céder nos restes de sandwich à des jeunes cas sociaux affamés qui nous oppressent et nous dévaliseraient bien s’ils en avaient l’occasion. Léger sentiment d’insécurité à cet endroit. Nous sommes à la gare pour prévoir la suite du voyage: Nous hésitons à continuer en train vers le sud.

J’ai oublier de vous raconter que nous logeons dans un super hostel, Portal del Sur dans le microcentro, et que par le plus grand des hasards nous y avons retrouvé notre ami Joachim, l’allemand d’Asunción qui nous avait aidé en mécanique, ainsi qu’un couple de québécois avec qui nous avions sympathisé à Montevideo.

Trois choses qu’on n’a pas le droit de rater quand on visite cette ville : un steak argentin (bon… pas pour les végétariens bien sur), un spectacle de tango professionnel et une milonga, où les locaux dansent eux même le tango.
Ce n’est pas un cliché, les porteños grandissent avec le tango et ce n’est pas du tout démodé au contraire.
Nous nous sommes réservé le dernier soir pour vivre ces trois expériences. Peu avant 19 heures nous sommes à Palermo au restaurant « La Cabrera » réputé pour servir les meilleurs steaks de la ville. A 19 heures les portes s’ouvrent et les quelques chanceux dont nous faisons partie prennent place sur les quelques tables disponibles : jusqu’à 20 heures l’addition est 40 % moins chère mais les places sont limitées. Effectivement nous ne nous souvenons pas si nous avons une fois mangé un si bon morceau de viande. Le service est éclair, le malbec est aussi bon que toutes ces bonnes choses qui accompagnent notre « ojo de bife » (entrecôte) de 600 grammes (partagé bien sur). A 20 heures on nous apporte l’addition comme à quasiment tout le monde : il faut laisser place à ceux qui font du vrai chiffre. Les argentins mangent tard, comme les espagnols.

Nous sommes contents que ça aille vite, ainsi nous pouvons rentrer et nous faire aussi beaux que possible (jean, t-shirt propre et chaussures de rando sont nos habits les plus chics) pour continuer vers la Piazzolla où à 22 heures commence le spectacle de tango. C’est le moins cher que nous ayons vu avec ses 320 pesos (32 euros au taux officiel) sans repas, et il mérite chaque peso: les 4 couples de danseurs, le couple de chanteur et l’orchestre de deux bandonéons, deux violons, une contrebasse et un piano nous en mettent plein les yeux. L’alchimie qui s’échappe de ces airs souverains nous ravit. Le tango nous fascine, peut-être par le maintien royal de ses danseurs, l’élégance, la séduction, la lutte et l’histoire qu’il semble orchestrer à chaque nouvelle chanson. La musique aux rythmes complexes sort du champ traditionnel de celle réglée comme du papier à musique. On aime pas, on adore !

Les derniers 200 pesos de notre porte-monnaie sont investis (non pas dépensés) pour l’entrée de la Bendita Milonga. Jusqu’à 1 heure joue un groupe et nous nous réjouissons d’observer les porteños danser leur tango. Des milongas, ces « discothèques à tango », il y en a des centaines à Buenos Aires. Le type de public dépend de la milonga et l’histoire qu’elle a. Certaines sont d’anciennes maisons où l’on rentre en habits de soirée, d’autres sont plus « cool » et on y accède en tong et short.
Le tango répond à un rituel stricte et nous nous régalons d’y assister. Ces danseurs là ne sont pas des acrobates comme nous l’avons vu pendant le spectacle, mais des gens normaux de tout âge. Selon la manière traditionnelle, c’est l’homme qui invite la femme à danser. Le cabeceo est le nom de cette « manière de faire ». Elle doit soutenir son regard pour lui manifester son désir de danser, ou l’ignorer si ce n’est pas le cas. L’homme fait alors un signe de la tête pour signifier l’invitation. Si au bout d’une danse la femme est « remerciée » c’est qu’elle est mauvaise danseuse, parce que normalement un couple se forme pour plusieurs danses.
Nous sommes « bourrés de plaisir » quand nous rentrons à notre hostel, et heureux même si nous avons dépensé plus du budget d’une journée en une seule soirée.

Le lendemain à 15 heures, le jeudi 26 novembre, après avoir encore parcouru des kilomètres, visité de beaux parcs et une magnifique roseraie nous prenons un bus pour Puerto Madryn, 1300km plus au sud, pour découvrir la faune de la péninsule de Valdés. Puisse le voyage continuer à nous enrichir à ce point, et vous, continuer de nous lire.

  1 comment for “Buenos Aires

  1. Moni
    9. décembre 2015 at 10:40

    Danke für den ausführlichen Artikel, die Bilder und drei Videos. Wir haben gar nicht damit gerechnet jetzt was von euch zu hören, da ihr ja auf Treckingtour im Nationalpark in Patagonien seid♡♡♡Merci et bisous♡♡♡

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